Cette série dite des « Mariages » est doublement inédite et singulière dans le parcours de Etienne Renzo avec des photographies à la fois abstraites et semi-accidentelles. Aux antipodes des images posées et travaillées en laboratoire. Ici, la photographie résulte d’un processus lié au dépérissement de diapositives argentiques Ektachromes de cérémonies de mariages prises dans les années 70-80. Des images étranges, à la fois ressuscitées et produites par le hasard d’une étonnante alchimie des formes et des couleurs.
Des images oubliées et jamais montrées
Oubliées dans leurs boîtes d’origine pendant de nombreuses années, les diapositives ont été soumises à un double processus de décomposition lente, et de cristallisation dendritique de leurs colorants. Les images qui en résultent sont issues de la fusion chaotique des couches chromogènes. Elles fixent également la temporalité du processus qui a pu s’étaler sur des années. Ces images jamais montrées seront présentées dans des caissons lumineux qui en révèlent toutes les substances et les subtilités chromatiques. Comme des vitraux fantastiques qui doivent autant au hasard qu’à la chimie de la matière, des couleurs et de la lumière. Des images qui mettent en jeux des phénomènes de paréidolies (illusion renvoyant à des images familières), pouvant faire penser aux clichés des tréfonds cosmiques, à des vues aériennes terrestres, ou à des photographies cellulaires prises au microscope électronique.
Des images à dimension alchimiques
D’un point de vue esthétique et historique ces images en partie dues au hasard nous renvoient autant à la peinture abstraite informelle des années 1950 et 1960 liée aux multiples mouvements anti-peinture et anti-art, qu’à des processus de créativité immémoriaux issu des traditions alchimiques dont la philosophie était de régénérer la nature par la culture. Et inversement. Elles procèdent ainsi d’une anti-photographie en bousculant les codes et les usages de de l’image. N’oublions pas que la métaphysique du mariage est au cœur du processus alchimique à travers la hiérogamie de la lune et du soleil. Ou de la fusion des opposés, qui permet à «l’artiste» d’accéder au principe androgyne, le «rebis», étape ultime avant d’accéder au «grand œuvre» pour élaborer la pierre philosophale. Une pierre synonyme de panacée qui soigne tous les maux en donnant accès à une forme d’immortalité.
Une photographie fantôme
En décidant d’exhumer et de ressusciter ces images pour les exposer, Etienne Renzo invente (au sens de découvrir un trésor archéologique) une forme, une photographie paradoxale qui est à la fois totalement conceptuelle et matérielle. Presque naturelle. Une sorte de photographie brute, organique, transhistorique et alchimique qui marie les principes de l’humain et du non-humain. L’artiste ne parle-t-il pas lui-même de «transmutation» ? Le comble de la chimie photographique quand ces images inventent leur propre laboratoire en tutoyant l'invisible. Car ces images ont clairement à voir avec les fantômes et les cultures de l’invisible. Notamment quand elles laissent apparaître des silhouettes de présences qui font penser à des entités. Elles ont aussi quelque chose de l’écriture automatique, du test de Rorschach, ou de la lecture dans le marc de café en faisant jonction entre les profondeurs de l’inconscient et celles de la nature. Comme si elles sublimaient et fixaient dans un effet de zoom paradoxal, l’espace inconnu que l’on présume entre les multiples dimensions du réel. Du micro au macro, entre le visible et l’invisible.
Des images hypnotiques qui soignent
Pour autant, livrées à la contemplation, ces images ont une énergie plutôt rassérénante. C’est-à-dire qu’elles peuvent susciter des sensations de calme, de sérénité, voire de volupté. Pas loin non plus de l’effet hypnotique de la contemplation de poissons dans un aquarium ou d’un kaléidoscope de couleurs-lumières. Pas loin de ce que l'on peut ressentir face à la magie du vitrail ou de certaines peintures. C’est pourquoi ces images sont à la fois utiles et précieuses. Il s’agit de véritables œuvres d’art qui transcendent le statut et l’objet et du sujet même de la photographie. A moins qu’elles ne l’incarnent pleinement dans une esthétique de la sublimation, du dépassement et de la résilience. Car ces images réparent. D’abord ce qui est de l’ordre de la fracture entre le féminin et le masculin. Et plus globalement entre le naturel et le culturel. Ce qui participe de notre drame contemporain. C’est probablement pourquoi elles sont appelées à devenir des symboles actifs, voire des icônes, de l’époque qui les a ressuscitées. Comme des belles au bois dormant réveillées, ou une forme de panacée photographique.
La photographie de mariage vue par Etienne Renzo
«Tout jeune photographe nouvellement installé, avec un ami également faiseur d’images, nous endossions l’habit de reporter de mariage tous les samedis pour améliorer nos finances... En sus des tirages couleur que nous réalisions, le développement des diapositives Ektachromes faisait partie du lot. Bien entendu, pas toutes n’étaient de qualité suffisante pour les remettre aux clients. Le reste était stocké dans des cartons ça et là dans le labo jusqu’à ce que nous les jetions. C’était également le temps où mes premiers sentiments amoureux avaient commencé à poindre, et corrélativement, mon premier grand chagrin d’amour. Je devais faire ma vie avec elle (!), et la misérable s’était amourachée d’un autre et venait de se marier aussitôt, cela avait été très rapide. Mon aversion du mariage est venue à ce moment là, et en revisionnant tous ces couples heureux sur mes centaines de diapositives rebutées, je décidai de les utiliser pour opérer une transmutation chimique avec pour objectif quelque sortilège, au lieu de simplement les envoyer à la benne à ordures. Grand bien m’en a pris, leur mariage est resté, et mes diapositves décomposées et corrompues ont été du plus bel effet. La transmutation et la recristallisation des colorants dissous étant proportionnelle à la durée, le temps faisant, les mariés avaient laissé place à des amalgames et compositions de couleurs du plus bel effet. J’avais toujours admiré la peinture abstraite tout en ne sachant pas peindre, j’avais réussi à le faire (aussi bien?) en photographie. Et je n’en était pas peu fier !»
Le projet d’exposition :
Le projet d‘exposition consiste tout d’abord à poursuivre le travail d’exhumation des diapositives de leurs boites. L’opération consiste ensuite à les sélectionner et à en réaliser des tirages pour caissons lumineux. L’exposition pourra rassembler entre 20 et 30 tirages. Un nouvelle série de re-décomposition de diapositives a été récemment initiée.